Jacques-Henri PONS
Critique, grand amateur de jazz, pianiste, poète, auteur, directeur du théâtre Conditions des Soies (Avignon), Jacques-Henri Pons appartient à la génération du théâtre de l'absurde. Il a reçu le grand prix radiophonique, « Attilius-love », le prix SACD pour Jungle et le prix Max Radiguet 2002 pour Chroniques de l'acteur isolé. Sa religion épicurienne doit beaucoup à un grand-père poissonnier. En faisant fortune dans l'immobilier, le grand-père Pons permit à son fils et à son petit-fils de se consacrer à l’art en toute sécurité matérielle. Le premier fut artiste peintre. Le second a tâté du jazz comme pianiste avec Petrucciani, puis de la plume comme poète et auteur de théâtre. Sa première pièce de théâtre, Maximus, est l'histoire d'un misanthrope qui vit dans son bureau avec sa secrétaire. Après un succès d'estime, il donne sa deuxième pièce, Joker Lady, narrant les folies douces d'une actrice de théâtre sur le tard qui rêve de brûler à nouveau les planches. Jacques-Henri Pons promène ainsi son monde désenchanté et cocasse, entre Ionesco et Bouvard et Pécuchet, entomologiste boulevardier de l'absurde qui ne se convainc d'exister qu'en assistant aux représentations de ses propres pièces. « Au début, je prenais mes acteurs par fichier électronique. Puis j'ai fini par connaître du monde. Dans Bistro, ma quatrième pièce, j'ai lancé Vincent Cassel, l'acteur principal du film la Haine, et d'autres qu'on voit à la télé aujourd'hui », relate Pons à un journaliste de Libération (1998). Dans la mouvance de Feydeau, Les Perroquets, pièce qui fut mise en scène par Jean-Marie Boëglin (qui a travaillé avec Brecht, Planchon et Lavaudant), raconte un épisode authentique de l'histoire de Jacques-Henri Pons : « Après mon divorce, ma mère s'est mise en tête de me remarier en passant dans mon dos une annonce dans Le Chasseur français. Elle a établi une correspondance avec la fille d'un bijoutier de Cambrai, en écrivant en mon nom. Un jour, elle m'a annoncée que ma « fiancée » débarquait avec ses parents. On s'est retrouvé au café de la gare d'Orange. J'avais 40 ans. Je suis resté célibataire. » Jacques-Henri Pons était très lié à Jean et Alain Breton, à l'histoire des Hommes sans Épaules (dont il était membre d'honneur), comme à Guy Chambelland et à son Pont de l'Épée. Jacques-Henri Pons est décédé dans la nuit du dimanche 7 octobre 2012.
À lire (au Pont de l’Épée et aux éd. Guy Chambelland) : Faites entrer le Pacifique, La journée du major, Une soirée avec Jacques-Henri Pons, Ad libitum, Break ; C’est un fait, l’indien crache trop, suivi de Break et de Jungle, (Le Milieu du Jour, 1995), Joker Lady (Le Milieu du Jour), Chronique de l’acteur isolé (éd. Librairie-Galerie Racine), Les Glucks suivi de Les Perroquets (Les Hommes sans Épaules), L’Homme-tronc (éd. Librairie-Galerie Racine, 2009).
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules).
"Voutsinas ne s'y est pas trompé, il y a un demi-lustre ni Gaby Sylvia - dont ce fut d'ailleurs la dernière prestation : on ne joue pas une pièce démontée de Pons, on la déguste un verre de champagne à la main, de la Veuve Cliquot, Ponsardin bien sûr, tandis qu'un piano mystique déjoue les pièges d'une partition dont la verticalité le dispute à l'horizontalité des acteurs. J'en fus, un été torride. Coincé entre Queneau et Obaldia, l'humour ponsien qui n'ets pas celui de la pierre, résista au flegme et à la flemme avignonnais. L'heureux temps... Cette habile combinaison de comique et d'humour, qui est la caractéristique de l'atmosphère ponsienne, combinaison somme toute assez rare, résulte à mon sens de la personnalité en eaux profondes de Jacques-Henri, faite de deux courants inconciliables quoique consanguins d'outre-Manche."
Jean Le Poulain
"Jacques-Henri Pons, pourfendeur de phantasmes voilés ou crus, pourvoyeur de Rois mages et de Princesses, arpenteur de Demi mesures et de Vacances indiennes, pourlécheur d'Alouettes sans tête, pourfileur de Filatures... C'est dire un humour et une poésie tissés de somptueuses images aussitôt tues qu'avouées, de tendresse cassée en micas de ruires aigres, en un mot de pudeur."
Danièle Carraz
"Chez Jacques-Henri Pons, l'humour pointilliste est toujours la politesse affirmée du non espoir. La dérision y est sur son trente et un."
Alain Breton
Cube Jazz
à Jacques-Henri Pons
Quand craque le jour
quand le coeur se fait ventre
quand le monstre s'assied à ma table
avec rien dans les yeux que l'eau de ma misère
je renonce à me mettre à jamais
dans les mots dans le mot femme
dans le mot fruit
Je mets un grand cube devant moi
comme dans les toiles de Magritte
un cube d'air que personne ne voit
un cube aux arrêtes de miroir
beau comme l'esprit de géométrie
beau comme un coeur enfin qui serait son absence
Et j'y mets un premier nègre
un nègre aux doigts de gomme sèche
qui joue de la contrebasse
et s'appelle Charlie Mingus
Et j'y mets un second nègre
qui va mourir pour avoir piégé trop tôt
les dieux comme des pies à la glu de son saxophone
et qui s'appelle John Coltrane
Et j'y mets un troisième nègre
qui n'est pas nègre mais seulement
l'escalier stupéfiant du blues
que monte et redescend selon les rigueurs secrètes de l'alcool
l'ami blanc qui se met au piano
en dépit d'une main gauche dont Thélonius Monk
n'assurerait pas qu'elle sort de sa maîtrise
mais dont la voix retrouve
au bout de la nuit de chênes verts
le chant profond des viscères humains
où dormait l'âme où s'éveille un dieu
Et j'y mets un quatrième nègre
qui est la nuit même que je porte
mais les drums diront-ils jamais
là où un Lionel Hampton exorcise
une liberté menacée d'anarchie la pervenche
la noix vomique et le kola
que fleurit l'arbre de mes veines ?
D'architecte de l'invisible
ne cherche rien d'autre, passant,
qu'un oiseau multicolore:
Sa mort
la tienne
Guy CHAMBELLAND
(Poème extrait de Courtoisie de la fatigue, éd. Chambelland, 1971).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Numéro spécial : Hommage à GUY CHAMBELLAND n° 7 | Dossier : POÈTES NORVÉGIENS CONTEMPORAINS n° 35 |